Peut-on se limiter à une veille sur les médias sociaux ? Le cas des projets éoliens

Carole Tisserand-Barthole
Netsources no
131
publié en
2017.11
722
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méthodologie | médias sociaux
Peut-on se limiter à une veille sur les médias sociaux ? Le ... Image 1
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On voit paraître régulièrement sur le Web et dans la presse des études et sondages sur les pratiques informationnelles des internautes sur le Web et les médias sociaux.

Un rapport du sérieux Pew Research Center publié cet été sur l’usage des médias sociaux dans l’accès à l’information montrait que 67% des américains s’informaient via les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, Whatsapp) et la moitié d’entre eux sur Facebook.

Les médias traditionnels n’en étaient pas pour autant délaissés mais perçus comme un complément. Cette tendance ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux américains mais bien à travers le monde entier.

Malgré ce constat, il est intéressant de noter qu’une grande partie des contenus partagés sur les médias sociaux proviennent des médias traditionnels ou y font référence.
Aurait-on donc une vue d’ensemble de l’information en consultant uniquement les médias sociaux ?

Toutes ces études, rapports et sondages s’intéressent à l’accès à l’information dans un cadre privé et non professionnel. Mais la recherche d’information et la veille dans un cadre professionnel n’échappe pas à ce phénomène : le développement des plateformes de social media monitoring qui représentent aujourd’hui la partie la plus visible des outils de veille montrent bien l’importance des médias sociaux dans le processus de veille et de collecte de l’information.

Même si, contrairement à ce que leur appellation pourrait laisser croire, ces plateformes vont au-delà de la stricte surveillance des médias sociaux, notamment par la surveillance des sites d’actualités, blogs, forums, etc., on reste essentiellement dans l’univers de l’information gratuite et librement accessible sur le Web, ce qui exclut une multitude de sources d’informations très qualifiées mais payantes.

Peut-on aujourd’hui réaliser une veille ou une recherche d’information en se basant exclusivement sur les médias sociaux ? Que risque t-on de manquer avec une telle approche ? Ne risque t-on pas de passer à côté d’informations cruciales parues sur des supports payants ou ailleurs sur le Web ouvert. Ou bien finalement, cette information publiée ailleurs ne finit-elle pas toujours par se retrouver sur les médias sociaux d’une manière ou d’une autre ?

Et comme il est très difficile a priori d’évaluer la place des médias sociaux dans un processus de veille et la part d’information non retrouvée en se limitant à ces seules sources, nous avons décidé de mener différents tests dans des secteurs d’activité divers au cours des prochains numéros.

Pour ce premier article, nous avons choisi le secteur de l’énergie et plus précisément la surveillance des projets éoliens en France (détection de nouveaux projets, avancement des projets, attribution des contrats, annulation de projets, etc.). Notre recherche s’est portée sur le derniers mois.

La détection de projets éoliens sur les médias sociaux

Nous avons choisi ici de nous intéresser à Twitter, qui reste le réseau social le plus adapté à la veille dans un cadre professionnel et tout particulièrement sur ce type de sujet.

Nous avons tout d’abord identifié quelques comptes spécialisés sur l’éolien comme :

  • @Eolien_marin, l’actualité francophone de l’éolien en mer
  • @feeasso, l’association FEE qui représente les professionnels de l’éolien en France
  • @Observ_ER - observatoire des énergies renouvelables

Cela nous a permis d’identifier des actualités liées à des projets en France et d’identifier quelques ressources d’informations très pertinentes.

Nous avons ensuite consulté les tweets comportant le hashtag #Eolien et lancé des recherches dans le moteur avec des requêtes croisant des termes comme projet, contrat, nouveau, etc. et éolien / éolienne.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’information ne manque pas sur le sujet qui nous intéresse.

Au final sur le dernier mois, nous avons ainsi repéré une quarantaine de différents projets éoliens en France (lancement, annulation d’un projet, inauguration, protestations, etc.) faisant l’actualité sur Twitter.

L’information identifiée provenait essentiellement de comptes de la presse régionale, presse spécialisée, collectifs de défenseurs de l’environnement, comptes personnels de journalistes, professionnels et dirigeants du secteur, comptes corporate des acteurs du secteur, personnalités politiques, associations de professionnels et pouvoirs publics.

La détection des projets éoliens dans un agrégateur de presse

Nous avons ensuite lancé une requête similaire dans Pressedd, un agrégateur de presse française qui permet d’interroger simultanément plusieurs milliers de titre. Nous avons choisi cet agrégateur plutôt qu’un autre en raison de son excellente couverture de la presse locale et spécialisée française (la couverture est en effet moindre sur Factiva, Newsdesk et même Europresse).

Pour cibler au mieux la recherche, nous avons entré la requête suivante :

TE:eolien* ET (projet* OU contrat* OU nouve* OU inaugur* OU «en service» OU decision* OU report* OU soutien OU permis OU delai* ou lancement OU annul* OU ouverture OU extension* OU concertation* OU «appel d’offres»).

L’opérateur TE: permet de rechercher le mot ou l’expression dans la Titraille de l’article (titre, sur-titre, sous-titre)

Le nombre de résultats était toujours très élevé (environ 1000 articles sur le dernier mois) mais les articles étant pour la grande majorité pertinents, nous avons choisi de ne pas restreindre la recherche davantage, au risque de passer à côté d’informations pertinentes.

Nous avons ainsi identifié plus de 70 projets éoliens que nous n’avions absolument pas repéré sur Twitter.

Nous avons ensuite relancé des recherches dans Twitter avec le nom ou le lieu du projet et le terme « éolien » pour être bien sûrs que l’information ne s’y trouvait pas. Nous aurions pu en effet passer à côté lors de notre première recherche si le tweet ne comportait ni nos termes de recherche ni le hastag #eolien.

Pour plus de 50 projets, soit plus de la moitié des projets identifiés pour cette recherche, il n’y avait absolument aucune information récente sur Twitter.

Inversement, nous avons pu constater qu’une dizaine de projets identifiés sur Twitter n’apparaissaient pas dans Pressedd.

Toute cette information était-elle disponible sur le Web ouvert ?

Nous avons ensuite voulu savoir si ces projets non identifiés sur Twitter auraient pu être repérés avec une surveillance du Web ouvert.

Pour la grande majorité, la réponse est oui : une recherche sur Google croisant le nom ou le lieu du projet avec le terme « éolien » ou « éolienne » sur le dernier mois, permettait quasiment systématiquement de faire ressortir une ou plusieurs actualités pertinentes. Il s’agissait essentiellement de sites de presse locale ou de sites de collectivités (mairie, communautés de communes, conseil régional, etc.).

Cependant, l’accès au texte intégral de l’article n’est pas toujours possible, bien qu’il soit référencé dans Google. Dans certains cas, il faut s’identifier ou bien acheter des crédits d’articles. Dans d’autres, il est possible de consulter gratuitement 5 à 10 articles par mois puis l’accès devient payant.

La veille sur les médias sociaux : nécessaire mais pas suffisante

Dans ce cas précis de recherche, le recours aux médias sociaux est certes important mais s’y limiter est très réducteur.

On risque en effet de passer à côté de 50% de l’information pertinente.

Ce test met également en évidence le fait que les médias traditionnels, bien que très présents sur Twitter, n’y diffusent pas l’intégralité des contenus disponibles sur leurs sites Web, loin s’en faut.

D’autre part, même si, au final, on obtient un accès gratuit à une très grande partie de l’information, on passait tout de même à côté d’une dizaine de projets dont les informations n’étaient accessibles que dans des sources payantes.

La nouvelle politique de Google et Facebook vis à vis des éditeurs, visant à promouvoir plus de contenus payants (dont nous avons déjà eu l’occasion de parler en Une de ce numéro) ou les quelques initiatives récentes des éditeurs visant à restreindre le nombre d’articles gratuitement accessibles sur leurs sites, pourrait infléchir la répartition gratuit/payant dans un processus de veille. Plus que jamais, il faudra tenir compte des sources payantes dans la constitution de son corpus.