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L’intelligence économique commence par une veille intelligente

La curation pour les managers : le sens de l’information vu par Curation Corp

Netsources no
135
publié en
2018.07
786
La curation pour les managers : le sens de l’information vu ... Image 1
La curation pour les managers : le sens de l’information vu ... Image 1

On l’a vu précédemment dans ce dossier spécial, les outils professionnels payants tentent en permanence d’intégrer la modernité du monde de l’information dans leur développement, voire de se redévelopper autour des nouveaux enjeux qui sont la maîtrise de contenus toujours plus hétérogènes, volumineux et dispersés.

Dans ce contexte, un service d’information a retenu notre attention, tant il est centré sur la valeur ajoutée que peut apporter un service d’information adapté aux enjeux de l’entreprise d’aujourd’hui. Il le fait en exploitant le concept de maîtrise de « l’infobésité », ces masses d’informations très volumineuses et redondantes, dont il est très difficile d’extraire de la valeur.

Les managers pourront évaluer l’adéquation de ce service à leurs besoins propres, et les professionnels de l’information, veilleurs, documentalistes, pour leur part, pourront y trouver une source d’inspiration pour la réévaluation de leurs propres services en entreprise.

Le produit d’information appelé très explicitement Curation1, du même nom que la société américaine Curation Corp (https://curationcorp.com) qui en est à l’origine, cible délibérément le management, voire le top management de l’entreprise, et dont, selon les communiqués, « la raison d’exister est de résoudre la crise de l›information consumant le monde des affaires ».

L’un des investisseurs de la société déclare même que la raison de son investissement dans Curation est une tentative pour « secouer ce qu’il considère comme un processus grotesque et inefficace au sein des entreprises ». Un point de vue un peu énigmatique mais dont on suppose qu’il a en vue les systèmes d’information de l’entreprise, et, si c’est bien le cas, intéressant quand on sait que ce type de dirigeant est par définition gros consommateur et très exigeant en matière d’information.

Les enjeux et problématiques d’information de ce monde des affaires, les fondateurs de Curation sont effectivement bien placés pour les connaître, puisqu’il s’agit d’anciens directeurs exécutifs du secteur de la finance, du conseil, des fusions & acquisitions, et aussi de l’information financière (un ancien haut dirigeant de Reuters a rejoint l’aventure). Notons que l’on retrouve souvent ce schéma d’investissement derrière le lancement de services d’information à forte valeur stratégique et à destination principalement des top managers, facilement accessibles via les réseaux et points de rencontre au sein des milieux d’affaires.

Le concept de « risk monitoring »

La voie originale du produit, qui se définit comme un service d’intelligence et de surveillance des risques, est de se situer exclusivement sur les « risques périphériques » à l’industrie et au business, d’identifier les risques les plus « disruptifs »2 et de les traquer. La société va même jusqu’à utiliser l’expression « forensically tracking », qui fait référence aux méthodes d’investigation légale.

Le service Curation propose de gérer la profusion d’information à l’échelle mondiale, en particulier sur les thèmes liés à la « disruption » économique, sociale et technologique via précisément une « curation professionnelle » des flux d’information.

Parmi les thèmes clefs, - mais on aura compris que la liste évolue en permanence, - on a par exemple la cybersécurité, l’innovation dans les services financiers, la technologie des batteries et des véhicules électriques, l’économie du partage, les monnaies digitales, (cf figure 1.)…

Fig. 1 : exemple de thèmes traités par Curation (liste non exhaustive)

Dans ce que l’on comprend du process utilisé, Curation utilise à la fois la technologie pour filtrer ces flux et l’expertise humaine pour les traiter, les qualifier, les synthétiser en décryptant son intérêt stratégique pour le client, le service offert se voulant totalement personnalisé pour chaque client. Les informations synthétisées sont poussées quotidiennement par mail sous forme d’alertes. Des alertes composées uniquement de titres hiérarchisés, chacun renvoyant à un digest sur une plate-forme de Curation Corp, l’ensemble constituant une mini-newsletter quotidienne. Les sources de chaque digest sont toujours indiquées et accompagnées du lien vers la source web (gratuite ou pas). Il semblerait que Curation ait prévu l’intégration de leurs livrables sur des plates-formes internes d’entreprise via le développement d’API.

Nous avons testé quelques semaines sur différents sujets les alertes proposées en démo et force est de reconnaître qu’il s’agit d’un travail intéressant, même si ces démos étaient des produits d’appel non personnalisés en fonction de la problématique client. Les informations reçues étant pertinentes par rapport au sujet traité et reflétaient bien l’actualité des sujets, comme nous l’avons vérifié grâce à des requêtes parallèles sur quelques agrégateurs de presse. Les résumés en anglais étaient très soignés, l’alerte quotidienne comprenant une dizaine d’informations en moyenne, classifiées avec des étoiles, de 1 à 3, 3 semblant - toute classification est subjective - être le niveau le plus « disruptif » (relativement peu d’informations sont données dans le cadre des démos standard).

Dans le cadre des abonnements de test que nous avions souscrits l’un des thèmes prometteurs traité par Curation, les « Black Swans », appellation probablement inspirée par la théorie du cygne noir3, (un événement ayant un très fort impact négatif mais imprévisible ou ayant une très faible probabilité de se produire) est défini ici comme la surveillance de l’instabilité financière, des désastres naturels, épidémies, risque géopolitique. En pratique, ce thème nous a semblé un peu fourre-tout, mais il présentait au moins l’intérêt de nous mettre en lien avec les événements « extrêmes » aux quatre coins de la planète, et d’être en quelque sorte une mini chronique des catastrophes annoncées pour le futur.

N’ayant pu jusqu’à présent joindre la société pour comprendre sa stratégie de diffusion et de pricing, on sera prudent sur la description des modalités d’accès. Nous ne pouvons que citer le prix de 10 000 £ par trimestre trouvé sur le web, même si nous savons qu’il n’y a presque jamais de prix standard pour ce type de service et que cela se négocie au cas par cas. Par ailleurs, l’alliance récente avec Dow Jones, l’agrégateur de presse internationale et informations financières, semble signifier une professionnalisation du sourcing grâce à l’accès aux flux de presse qualifié de la base Factiva, en même temps qu’elle constitue un levier commercial de choc. Cela étant, on ne connait pas le détail de leur négociation.

Par ailleurs, en octobre dernier de deux nouveaux produits ont résulté de cette alliance :

  • Dow Jones Curated Insight Briefings, une sélection de briefings thématiques (robots et drones, le partage et les économies à la demande, l’Internet des objets et les tendances disruptives en Chine, avec de nouveaux sujets s’ajoutant au fil du temps.
  • Dow Jones Disruption Insight Radar, des alertes hebdomadaires sur les événements les plus importants du monde et susceptibles d’avoir un impact sur les entreprises.

Nous ne manquerons de revenir sur ces nouveaux produits dans un prochain article après avoir dialogué avec Dow Jones/Factiva.

Ce mouvement stratégique pourrait au passage expliquer pourquoi le lien vers le service de démonstration https://selfservice-c.curationcorp.com qui permettait de se créer une alerte sur un ou plusieurs thèmes est beaucoup moins mise en évidence sur le web depuis quelques mois et pour le coup assez difficile à trouver.

Le concept de curation a été maintes fois défini et redéfini : découverte de pépites, mise en valeur des contenus collectés et organisés… Il n’est pas question de rentrer ici dans un débat, mais le terme de « curation » nous interpelle, car finalement il s’agit bien là-aussi d’une intermédiation organisée et experte, avec pour but d’extraire des données de valeur à partir de masses d’information. La différence entre la curation « usuelle » et celle mise en avant par Curation Corp, réside, pourrait-on dire, dans la volonté de donner du sens à l’information et aux données. Curation Corp affirme « we make sense of data» que l’on est tenté de le traduire par : « nous faisons du sens à partir des données ».

Peut-on finalement concevoir les choses autrement ? Cela a-t-il du sens, ironie mise à part, et surtout de la valeur, de traiter et organiser des volumes d’information considérables sans chercher nativement à en extraire le sens pour une cible précise ? C’est à notre avis une question que tout créateur de service d’information en entreprise doit se poser.


  • 1 Le terme anglais est défini de la même façon qu’en français sur le web (avec le même flou artistique), on en validera donc la traduction.
  • 2 Nous utiliserons ici les mots disruptif, disruption (de l’anglais « disruptive, disruption » signifiant perturbateur, dérangeant, non prévu, et parfois innovant. On est tenté de le considérer comme faisant partie du vocabulaire économique français.
  • 3 Nassim Nicholas Taleb a développé cette théorie dans son célèbre livre : « Le cygne noir : La puissance de l’imprévisible ».

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