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Rechercher des articles scientifiques anciens : entre intuition et méthodologie

Netsources no
134
publié en
2018.05
887
Rechercher des articles scientifiques anciens : entre ... Image 1
Rechercher des articles scientifiques anciens : entre ... Image 1

Quand on dispose de la référence bibliographique d’un article scientifique, il n’est souvent pas très difficile d’identifier et d’obtenir l’article en texte intégral même si cela a un coût.

Dans la majorité des cas, une simple recherche sur le titre de l’article dans un moteur de recherche généraliste, comme Google ou Bing, ou dans un moteur de recherche académique, comme Google Scholar, permet d’identifier rapidement le PDF de l’article en ligne, qu’il soit accessible gratuitement ou de façon payante sur le site de l’éditeur.

Mais parfois, retrouver un article scientifique, surtout quand il est ancien, relève du parcours du combattant. Ce n’est pas pour autant impossible...

Cas pratique : à la recherche d’un article scientifique en allemand datant du début du XXe siècle

Sur l’une des listes de discussion dédiée aux professionnels de l’information, nous avons récemment vu passer le message d’une personne à la recherche d’un article scientifique très ancien. La personne disposait de la référence bibliographique suivante :

Wölfflin E. Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Strüktur der Iris. Arch Augenheilk 1902;45:1-4

Cette demande est intéressante à plus d’un titre :

  • il s’agit d’un article de 1902 donc très ancien et il y a donc des chances que la revue, l’éditeur, et l’auteur aient tous trois disparu depuis longtemps,
  • l’article est en allemand, ce qui ajoute encore un peu plus de difficulté.
Nous y avons donc vu une excellente opportunité pour un article méthodologique sur la recherche d’articles scientifiques anciens.

Étape 1 : Vérifier et compléter les informations de la référence bibliographique

Le réflexe Google

Une première recherche sur le titre de l’article dans Google n’est pas très concluante.

Nous avons testé différentes versions de la requête comme :

  • Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Strüktur der Iris
  • «Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Strüktur der Iris »
  • « Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Struktur der Iris »

Nous avons choisi de commencer par une recherche large sans guillemets puis de restreindre à la forme exacte. D’autre part, nous avons voulu voir s’il existait des différences sur le terme Strüktur accentué ou non. Car si Google est en principe insensible aux accents, on constate régulièrement que les résultats varient quand même...

A chaque fois, on retombe sur la référence bibliographique dont nous disposons déjà et qui ne permet pas d’accéder à l’article en texte intégral ni à une source susceptible de le détenir.

Google Scholar plus adapté pour la recherche d’articles scientifiques

La même requête dans Google Scholar ne fournit qu’un seul résultat, une citation qui n’est même pas cliquable. On apprend tout de même que cet article a été cité 15 fois dans d’autres articles scientifiques.

En cliquant sur le lien, on voit apparaître la liste des articles citant notre article. Seul problème, la quasi-totalité des articles en question ne sont pas accessibles gratuitement mais sont payants et nous ne souhaitons pas payer plusieurs dizaines d’euros sans garantie d’obtenir une piste pouvant nous guider vers l’article en texte intégral.

Sur nos 15 articles, seuls quelques-uns sont donc disponibles en libre accès et, pour chacun, nous consultons donc les références bibliographiques en fin d’article. Deux articles seulement (qui correspondent à des océrisations de revues anciennes sur lesquels il n’est pas possible d’effectuer la moindre recherche) indiquent une référence bibliographique quelque peu différente de celle que nous avons déjà.

On y découvre alors que le titre de la revue est en réalité Archive für Augenheilkunde. ou Archiv für Augenheilkunde (on trouve les deux variantes). Arch Augenheilk n’était en réalité qu’une abréviation.

Google Books en quête d’ouvrages anciens numérisés

Nous tentons enfin une recherche sur Google Books qui contient de nombreux ouvrages et recueils de revues anciennes numérisés et qui pourrait donc détenir celui que nous recherchons.

Nous relançons la requête suivante et ses variantes :

  • Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Strüktur der Iris
  • «Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Strüktur der Iris »
  • « Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Struktur der Iris »

On identifie cette fois-ci six résultats disposant de références bibliographiques citant notre article (différents de ceux déjà identifiés) mais pas de trace de l’article lui-même.

On trouve par exemple la référence suivante : Wölfflin, Ein klinischer Beitrag zur Kenntnis der Struktur der Iris. Arch. für Augenheilkunde XLV, S. 1. Ce qui nous confirme bien que le nom de la revue n’était pas complet et que l’article se trouve bien dans le volume 45 (ici en chiffres romains).

Malgré nos recherches, il semble donc impossible de pouvoir obtenir directement l’article en question gratuitement ou même de manière payante.

Mais maintenant que nous disposons du titre précis de la revue ainsi que du volume où se trouve notre article, nos recherches vont donc s’orienter vers l’identification de sources et organismes susceptibles de détenir des exemplaires de cette revue.

Étape 2 : Identifier des exemplaires de la revue

La piste des programmes de numérisation d’ouvrages anciens

Une première recherche dans Google sur Archive für Augenheilkunde fait ressortir un résultat qui semble très prometteur, issu du site Archive.org. On notera que ce résultat ne ressort pas si nous effectuons la recherche avec les guillemets « Archive für Augenheilkunde », ce qui montre bien l’intérêt de ne pas limiter et restreindre trop vite les requêtes.

Il s’agit d’un exemplaire de la revue du même nom présent dans le fond de l’Université du Michigan qui a été numérisé par Google puis mis à disposition sur le site d’Internet Archive (https://archive.org). Malheureusement pour nous, l’exemplaire numérisé ne date pas de 1902 mais de 1921. Nous avons ensuite consulté les documents similaires proposés par le site et effectué des recherches dans le moteur interne. Mais même s’il y a bien plusieurs dizaines d’exemplaires de la revue disponibles, aucune trace de numéros datant de 1902 ni de volume 45 (voir figure 1.).

Figure 1. Résultats sur Archive.org

Comme certains exemplaires de la revue ont été numérisés par Google, nous retournons sur Google Books en effectuant cette fois-ci plusieurs recherches sur le titre de la revue et ses variantes puis en croisant avec le nom de l’auteur, le numéro du volume ou encore des mots du titre de l’article.

Encore une fois, nous retrouvons plusieurs exemplaires mais aucun de 1902.

Nous retournons maintenant sur Google pour tester l’autre variante du titre que nous avions identifiée : Archiv für Augenheilkunde.

Et cette fois-ci, nous identifions parmi les premiers résultats deux ressources intéressantes : un résultat issu d’Hathi Trust et un résultat issu de Worldcat.

La piste des bibliothèques numériques

Le premier résultat est issu de Hathi Trust, une bibliothèque numérique mettant en commun le contenu de plusieurs bibliothèques numériques d’universités des États-Unis et d’Europe, ainsi que de Google Livres et d’Internet Archive. On dispose d’une notice bibliographique avec des informations sur la revue (date de création, langue, etc.) mais aussi et surtout d’une liste des ressources en ligne pour accéder à chaque volume. Si certains des volumes les plus anciens (antérieurs à 1900) sont bien accessibles gratuitement en ligne, ce n’est pas le cas du volume 45 datant de 1902 mais on dispose de la liste des établissements américains ayant au minimum un exemplaire papier comme l’Université du Michigan, du Minnesota ou encore d’Harvard.

On pourrait alors prendre contact avec les bibliothèques des différentes institutions concernées pour voir s’il serait possible d’obtenir une copie de l’article qui nous intéresse.

La piste des bibliothèques numériques est intéressante car notre article pourrait très bien se trouver :

  • en raison du sujet traité, dans des bibliothèques numériques spécialisées en médecine, ou plus spécifiquement en ophtalmologie
  • ou tout simplement dans la biblio­thèque numérique nationale allemande en raison de la langue de l’article.

Nous avons ainsi interrogé Medic@ la bibliothèque numérique du Service d’Histoire de la santé de la Bibliothèque interuniversitaire de santé ou encore la Deutsche Digitale Biblioteck mais sans succès.

Nous avons également essayé d’iden­tifier d’autres bibliothèques numériques spécialisées mais toujours pas de trace de notre revue.

La piste des catalogues de bibliothèques

Le second résultat intéressant lors de notre recherche sur Google sur Archiv für Augenheilkunde nous amène sur une notice de Worldcat. Worldcat est une base de données bibliographiques en ligne de l’OCLC, réputé comme étant le plus grand catalogue OPAC du monde. On y trouve le nom des organismes détenant ce périodique et notamment, pour la France, le Centre Technique du Livre de l’Enseignement supérieurà Marne-La-Vallée ou l’Université Henri Poincaréà Nancy.

En cliquant sur les liens, on est ensuite conduit vers le site du Sudoc, le catalogue collectif français réalisé par les bibliothèques et centres de documentation de l’enseignement supérieur et de la recherche. On y découvre que huit bibliothèques en France détiennent les archives de Archiv für Augenheilkunde mais seules cinq disposent du volume de 1902.

On pourra donc entrer en contact avec ces institutions pour obtenir le document. Mais rien de dit qu’elles ont un service de fourniture de copie de documents et il est peut-être nécessaire de se rendre sur place pour consulter le document.

Étape 3 : Recourir aux services de fournitures de documents primaires

Si les contacts avec les différentes institutions ne permettent pas d’obtenir l’article recherché, on pourra alors se tourner vers les fournisseurs de documents primaires.

Les tarifs pour un article varient en fonction du fournisseur, de la revue, de la taille de l’article, etc. mais le coût se situe souvent autour des 30/40 euros pour un article.

Il n’existe plus d’acteurs français pour la fourniture de documents primaires pour le secteur privé depuis 2014 avec la fermeture de Refdoc, le service de l’INIST mais il existe des alternatives à l’étranger.

On pourra citer :

  • TIB, https://www.tib.eu/en/borrowing-ordering/tib-document-delivery, un service allemand qui a des chances d’avoir accès à ce document puisqu’il s’agit d’une revue allemande. On ne retrouve pas précisément notre article dans leur catalogue mais on trouve bien d’autres articles issus d’Archiv für Augenheilkunde. On peut alors utiliser l’option « Order without search » et entrer les références de l’article. Il est en effet fréquent de recevoir le document demandé même s’il n’apparaît pas dans le catalogue en ligne.
  • FIZ Autodoc, https://autodoc.fiz-karlsruhe.de, le service de documents primaires du serveur STN. Il est cependant possible de commander des documents sans être client ou utilisateur de STN.
  • Copyright Clearance Center, http://www.copyright.com/document-delivery-service - D’après leur cata­logue, ils disposent en principe du vo­lume que nous recherchons. On s’étonnera cependant qu’un organisme de ce genre ait pu racheter un four­nisseur de document primaire en l’occurrence Infotrieve.
  • Le service de fourniture de documents de la Bristish Library mais impossible de savoir a priori s’ils détiennent des exemplaires de la revue - https://bldss.bl.uk/onDemand/home
  • Reprint Desk, https://info.reprintsdesk.com, un autre service de fourniture de documents primaires.

Plus surprenant, on retrouve également sur Amazon.fr pour 20 euros un ouvrage intitulé « Archiv Fur Augenheilkunde, Volume 45. » publié en 2012 par Nabu Press. Nabu Press se spécialise dans l’édition de livres anciens ou épuisé. Il est donc possible que cela corresponde bien à ce que nous recherchons. Mais le peu de détails fournis ne nous permet pas d’en être absolument sûr.

Au final, on constate qu’il existe plusieurs manières d’obtenir l’article, et, ce même si cela paraissait presque impossible au départ.

Identifier et obtenir des articles scientifiques à partir d’une référence bibliographique n’est souvent pas très compliqué mais il y a des cas où cela s’apparente à un véritable jeu de piste où se mêlent intuition, méthodologie et connaissances des sources et acteurs.

Preuve que les professionnels de l’information ont encore un rôle à jouer et une expertise à mettre en avant dès que l’on sort des questions et requêtes simples !

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