Nous avons eu l’occasion de le répéter plusieurs fois déjà, le brevet est une formidable source d’informations techniques qu’il est hasardeux d’ignorer dans une démarche d’innovation. État de l’art, recherche de solutions techniques, tendances du marché, positionnement d’un concurrent… Autant de raisons qui justifient une recherche dans les bases de données brevet.
Lorsque l’on se concentre sur les aspects plus juridiques, on retrouve les recherches de brevetabilité, celles réalisées dans le cadre d’une procédure d’opposition ou d’invalidation, et les recherches de liberté d’exploitation (dénommées FTO, pour Freedom To Operate, en anglais). Comme notre titre l’indique - que Beaumarchais nous pardonne cette irrévérence -, c’est sur celles-ci que nous allons nous pencher aujourd’hui.
De l’art du géomètre : qu’est-ce qu’un brevet ?
Rappelons tout d’abord quelques fondamentaux concernant le brevet.
Il est fréquent qu’un spécialiste technique qui lit pour la première fois un brevet revienne avec un air dépité s’exclamant « qu’est-ce que ce charabia, on n’y comprend rien ». C’est une réaction compréhensible : notre spécialiste s’attendait à lire un document décrivant une technique, un peu comme une publication scientifique, et il est tombé sur un texte parfois jargonnant, utilisant une terminologie étrange, qu’il est occasionnellement bien difficile d’interpréter. C’est que le but du brevet n’est pas seulement de décrire une technique, c’est aussi et avant tout de définir un territoire technique d’accès interdit. Nous sommes en présence d’un titre de propriété, et comme tout titre de propriété, il faut définir les limites de ladite propriété afin que les tiers sachent bien où ils ne peuvent pas aller. Rédiger un brevet, c’est au fond une affaire de technicien, mais aussi un peu de géomètre expert.
Pratiquer le brevish
Le brevet n’est toutefois pas totalement incompréhensible pour le spécialiste technique, à condition de maîtriser certains codes. En effet, le brevet doit décrire la solution technique qui constitue son objet, c’est même une obligation : la description doit en effet être suffisamment claire pour permettre à un homme du métier de la mettre en œuvre, de la reproduire. N’oublions pas qu’à l’origine du système du brevet - 1791 en France - il y avait la volonté de favoriser la diffusion des connaissances, l’inventeur qui acceptait de livrer ses connaissances au public se voyant accorder, à titre de compensation, une capacité d’interdire l’utilisation de la technique décrite pendant une certaine durée.
Cependant, ce souhait de dissémination, c’était il y a deux siècles, et même si l’obligation reste dans la loi, l’esprit a changé. Et « les plus malins » s’arrangent maintenant pour en dire suffisamment pour se conformer à la loi, mais pas trop quand même. Des techniques de rédaction claire/obscure se sont ainsi développées. Attention toutefois à ne pas tomber trop du côté obscur, la sanction pouvant être le rejet de la demande de brevet, voire l’annulation du brevet s’il a été accordé.
La délimitation du territoire interdit : les revendications
Il y a deux parties essentielles dans une demande de brevet :
- La description de la solution technique proposée par l’inventeur (car un brevet concerne une solution technique à un problème technique). C’est ici que l’on donne la recette, de manière très détaillée. À titre d’exemple, un brevet concernant un nouveau composé chimique devra non seulement décrire le composé, mais aussi son procédé de préparation, avec les catalyseurs, solvants, températures réactionnelles et autres paramètres utilisés. C’est dans cette partie que l’on donne aussi des exemples d’application de l’invention.
- Une fois que l’on a tout décrit, arrive la partie clé, essentielle dans une recherche de liberté d’exploitation : les revendications. Ce sont elles qui définissent l’étendue du territoire interdit, en précisant dans le détail les caractéristiques de la solution technique objet du brevet. Elles ont pour but d’étendre au maximum ce territoire interdit afin notamment d’éviter un trop facile contournement par un tiers. À partir d’une invention particulière, l’objectif est donc de tracer des limites englobant également les dispositifs ou procédés voisins. Si un alliage contient 10 % de cuivre, on va dans la description présenter des alliages contenant aussi 7 %, 8 %, 11 %, 12 % de cuivre, et dans la revendication on utilisera un intervalle : de 7 à 12 %. Si l’invention concerne une bouteille, on ne parlera pas de bouteille, mais de contenant pour liquide. Si l’invention concerne un camion utilisé pour transporter des marchandises, on ne parlera pas de camion, mais de moyen de transport de marchandises. On a vu un ballon décrit par la locution « dispositif sphérique de loisir ». D’où ce « brevish », langage qui peut déconcerter un expert technique.
L’appréciation de la FTO implique de maîtriser un peu ce langage.