Dans la plupart des entreprises, la veille brevet est souvent négligée. La veille brevet peut pourtant être une source d’informations précieuse pour l’intelligence concurrentielle. Elle permet de suivre l’évolution des technologies, d’identifier les concurrents, et d’exploiter toutes les opportunités de marché en développant une vraie stratégie. Entretien avec Philippe Borne, Délégué Régional de l’INPI pour la Région Grand Est (1), et également rédacteur occasionnel pour notre lettre BASES à titre d’expert.
François Libmann : La veille brevet a un potentiel qui nous semble sous-évalué dans le domaine de l’intelligence concurrentielle. Comment l’interprétez vous ?
Philippe Borne : Beaucoup d’entreprises ont une vision très juridique du brevet, considéré uniquement comme un outil de protection, et donc avec des stratégies brevet très traditionnelles. Et du fait de cette vision, on retrouve la même attitude en ce qui concerne la veille brevet. Cette vision très juridique du brevet en France a pour conséquence qu’il n’est pas tenu compte de son potentiel en tant que source d’informations pour l’intelligence concurrentielle. Cela ne vient, en effet, pas à l’esprit qu’on puisse faire de la veille technologique sur ce type d’information.
(1) Philippe Borne s’exprime ici à titre personnel et les opinions qu’il expose n’engagent que lui-même.
Une veille peut s’effectuer sur un très grand nombre de sources telles que les publications dans différents types de presse (généraliste, scientifique…), le web et, en particulier Google ou des sites spécialisés, les réseaux sociaux, les visites de foires et salons, les conférences…
Dans un très grand nombre de cas, particulièrement pour la veille technologique et concurrentielle, il ne faut surtout pas négliger les différentes dimensions de la propriété industrielle : brevets, marques ainsi que dessins et modèles.
Tout d’abord, précisons le vocabulaire, car il y a un fort risque de confusion.
On rappellera en premier lieu qu’un brevet est une sorte de contrat entre l’État en général et un inventeur. En échange de l’exclusivité de l’usage d’une technologie sur une durée pouvant, en général, aller jusqu’à 20 ans, la description de cette technologie est rendue publiquement accessible, après une période de 18 mois, et constitue une information scientifique/technique.
Le titulaire du brevet peut exploiter lui-même sa technologie ou décider s’il autorise un/des tiers à l’exploiter et, dans ce cas, sous quelles conditions (vente du brevet, concession d’une licence).
On oublie trop souvent que les brevets ont un intérêt pour la veille concurrentielle. Et pourtant, en savoir un peu plus sur la politique brevet d’une entreprise est souvent très utile : par exemple, S’il s’agit de l’un de vos concurrents, cela peut être intéressant de connaître les techniques sur lesquelles il dispose d’une capacité d’interdiction, Si c’est un potentiel partenaire, cela peut être très pertinent avant de signer un accord de collaboration de connaître son niveau de sensibilité à la propriété industrielle. Et s’il s’agit d’un des fournisseurs auprès duquel vous vous approvisionnez en composants indispensables, s’il dispose de brevets sur ces composants, cela peut vouloir dire que vous ne pourrez vous fournir ailleurs. Et cette liste est loin d’être exhaustive.
Alors comment collecter des informations sur la politique brevet d’un concurrent, d’un partenaire, d’un fournisseur…. sans se ruiner ? Et comment entrer et comprendre les bases du monde des brevets, qui peut paraître inaccessible aux non-initiés ?
Toutes les données brevet sont publiques, accessibles dans des bases de données dont beaucoup sont en accès libre, comme Espacenet ou Patentscope. Dans cet article, nous allons vous montrer comment les retrouver.
Pour cela nous partirons d’un exemple concret en nous intéressant à la politique brevet de Volocopter, une startup allemande conceptrice d’un taxi volant à propulsion électrique qu’elle ambitionne de faire voler à l’occasion des Jeux olympiques de Paris, à l’été 2024.
Comme nous avons pu le voir dans l’article « Comment enrichir sa veille concurrentielle avec les brevets ? » de ce même numéro, l’information brevet a un rôle à jouer dans tous les types de veille mais l’inverse est aussi vrai. L’information non-brevet, comme l’information business, financière, presse, etc. a aussi un rôle à jouer pour enrichir et améliorer la veille brevet.
C’est ce que nous avons choisi d’explorer dans cet article en partant d’un exemple concret : analyser la politique brevet de Quobly, une start-up française dans le secteur de la recherche quantique qui a récemment fait parler d’elle avec l’entrée de BPI France dans son capital. Nous avons choisi de mener l’enquête uniquement avec des données en libre accès.
NB : Suivant de loin le sujet du quantique, nous savons que les acteurs américains et chinois du domaine y ont une politique brevet très active. Un rapport de Michel Kurek publié en 2020 a établi que sur la période 2010 - 2020 les acteurs chinois sont à l’origine de 5164 familles de brevets, les acteurs américains de 1990 familles, et les acteurs français d’un modeste chiffre de 126 familles.
Quoi de mieux pour analyser une politique brevet que de commencer par une recherche dans les brevets. Nous avons utilisé ici l’outil Espacenet (pour savoir comment rechercher sur Espacenet, nous vous invitons à lire l’article « Comment enrichir sa veille concurrentielle avec les brevets ? » dans ce même numéro).